On peut admettre que beaucoup de monde ont du talent, et que partout il y a de la génialité amoncelée. Il y a ceux qui saisissent tout du premier regard ; quelques-uns aura le besoin d'un autre regard ; mais on aussi croise parfois ceux qui vont bien sans rien regarder parce que tout leur est claire en avant. Les voilà, les points d'appui et les échelles de la raison. Parfois quelque géant de la pensée va condescendre à instruire des imbéciles sans genre qui ne leur débrouilleront jamais par leur même et qui ne peuvent produire que des simulacres d'idées pour se joindre aux jeux des grands. Un personnage éminent écrirait sans trop de peine quelque chose ci et ça, en quelques centaines de pages. Prenez, concitoyens, et en jouissez. Appréciez la bonté énorme.
Mais les êtres malheureux comme moi se montrent d'être incapables d'accepter même les dons de ceux tout-puissants. Un anthropoïde médiocre n'a pas assez de cerveaux pour comprendre ce qu'il lit ; et puis, il lit trop lentement et d'une manière trop inefficace, en hésitant sur chaque formule. Qui je trouve une douzaine de livres par jour qui me seraient, par toute l'apparence, très utiles à lire. On compte à trois ou quatre mille par an. Sincèrement, je ne pourrais jamais assimiler un abîme pareil de sagesse. On n'aurait même du temps pour feuilleter seulement, de façon très superficielle. Si j'aurais tout simplement de placer les livres nouveaux dans une bibliothèque, il me prendrait le jour entier ; en effet, il faut premièrement décider à la rubrique ou chaque livre doit appartenir, et cela demande un peu de connaissance de ce que l'on concerne.
Parfois, on a l'envie de s'occuper de quelque chose particulière, et on arrive à s'imaginer d'être capable à y apporter des idées d'une sorte d'importance. Mais aussitôt qu'on voit le vaste océan de la littérature spéciale sur tout sujet possible on se sent mal. J'aurais beau se mettre en quatre, il en viendrait rien d'original. Tout est déjà inventé, et tout est déjà bien traité dans les fonds des gros volumes. Pourtant, un sens étrange surgit si l'on s'applique à lire. D'un côté, il semble bien vrai qu'il n'y a pas de nouveau. Toute pensée a déjà été introduite, toute beauté a déjà été exposée. Pourquoi se donner la peine ? Et d'autre part, avec n'importe combien de lire, on reste toujours insatisfait dans son for intérieur. Les gens parlent beaucoup, et ils ont raison ; mais quelque chose échappe obstinément. Chaque fois, le discours manque un peu pour convaincre complètement.
Bon, et si j'essayerai moi-même ? Sans prétention à la découverte, seulement pour ranger mes décharges mentales. Mais ayant commencé, tout est déception complète. Rien ne va mieux qu'avant, restant toujours tordu de tout côté. Ça fait parfois une pensée factieuse s'insinuer : y a-t-il de l'ordre à chercher dans ce monde ? Tout ce qu'on fait vient au même : verser du vide dans du creux, d'un livre à l'autre... Donc à bas des maux de tête ; on n'est jamais responsable de ses paroles. Pourquoi ? Tout de même, personne ne verra rien ; et ceux qui verront, ne vont pas comprendre ; et ceux qui comprennent n'apprécieront jamais ; et ceux qui apprécient fortuitement sont bien certes de tout jeter à la poubelle. À l'époque de l'abondance, c'est plus facile de commencer quelque chose à zéro que d'en trouver les clés dans les ténèbres des esprits éclairés. Peut être, toute créativité n'est que grande ignorance et grande arrogance ? Être trop paresseux pour chercher les solutions chez des autres, ça fait maître d'un nouveau courant. Sans beaucoup de l'honte, porter un bousillage aux publique, ça vous posera à la crête de la mode. Un produit brut va susciter la réflexion générale et faire pousser le progrès.
Mais non ! C'est plutôt moi qui, avec mon spiritualité étriquée, ne sais voir tout le charme des événements habituels, et qui n'a rien à n'offrir à personne. Donc il ne me faut que me tenir à l'écart, et y renifler taciturnement. Et feuilleter des livres d'esprit, pour me perdre dans plus de chagrin. Et garder mes écrits stupides bien loin des regardes humaines, sur quelque site inconnu qui n'est jamais visité que par des robots, seulement par leur devoir professionnel.
Allons, ne m'en veuillez pas! C'est à dire, à la mauvaise fortune du pot fêlé. Et pour l'exercice à domicile, une question de sot : ce qui ne sert à rien, n'a-t-il pas de l'utilité latente ? Peut-être, sous quelque rapports, la mauvaise volonté (et incapacité) de comprendre ne cèdera rien à l'intelligence tenace ? Peut-être, ceux qui passent sans trace ont plus de valeur spécifique que les amateurs de se perpétuer. Peut-être, la génialité ne s'exprime pas seulement en des grandes réalisations, mais parfois en renoncement à achever ? Peut être...
Ou ne pas être.
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